Crise des vaccins FCO 8 en Occitanie : disponibilité, prise en charge… et une confusion signée Annie Genevard, Ministre de l’Agriculture

03/10/2024 à 06:18 • Melvin Gardet

L’arrivée d’Annie Genevard à la tête du Ministère de l’Agriculture a relancé l’espoir que la position de l’Etat puisse changer au sujet de la prise en charge des vaccins contre la FCO 8. Pourtant, mercredi 2 octobre, elle n’a pas relevé une erreur de la députée Martine Froger, qui a [...]

Le 30 août, le ministre de l’agriculture Marc Fesneau ‘a encouragé tous les éleveurs à tester leurs animaux en cas de suspicion de FCO (sérotype 3, sérotype 8…), les tests comme la visite vétérinaire étant entièrement couverts par l’Etat sur toute la métropole.’ Cet accompagnement dans la détection des foyers de la maladie cache en réalité une détermination de l’Etat à ne pas prendre en charge la vaccination contre la FCO 8.Mais l’arrivée d’Annie Genevard à la tête du Ministère de l’Agriculture a relancé l’espoir que la position de l’Etat puisse changer. Le mercredi 2 octobre, elle n’a pas relevé une erreur de la députée Martine Froger, qui a confondu le sérotype 8 avec le sérotype 3, et elle l’a même répétée.

Photo d’illustration.

C’est le nerf de la guerre. La vaccination contre le sérotype 8 de la fièvre catarrhale ovine est le seul outil connu à ce jour pour limiter la propagation de la maladie dans les élevages. Lors de la première grande crise de la maladie de la langue bleue, l’État gérait et finançait la distribution des vaccins. Depuis 2015, ces mêmes vaccins contre la FCO 8 sont commercialisés librement. En 2024, trois vaccins sont disponibles sur le marché, ils sont distribués par trois laboratoires.

Depuis neuf ans, les éleveurs, les vétérinaires et les personnes et structures responsables de la protection sanitaire des exploitations (comme les GDS – Groupements de Défense Sanitaire) peuvent donc acquérir eux-mêmes les vaccins sur le marché. L’avantage, selon le Ministère de l’Agriculture, c’est que cela rend la vaccination plus proactive et plus adaptée aux besoins des exploitations animales. L’inconvénient, c’est que dans la crise sanitaire en cours, les vaccins sont, de fait, à la charge des éleveurs. Ces derniers sont pourtant financièrement accablés par de nombreuses crises.

“Un vaccin ça coûte cher, c'est 2,50 € la dose par brebis et plutôt 5 à 6 € par vache puisqu'il faut deux injections. Étant donné que l'on ne voyait pas arriver l'épidémie l'année dernière, certains éleveurs, pour des considérations économiques, et c'est leur gagne-pain, n'ont pas vacciné parce que la maladie n'arrivait pas”, explique Laurent Saint-Affre, Vice-Président de la Chambre d’Agriculture de l’Aveyron.

Alors, face à une menace jugée faible au début de l’été, la majorité des éleveurs pyrénéens ont fait le choix de ne pas vacciner.

Des problèmes de disponibilité des vaccins

C’est d’ailleurs sur une argumentation d’impréparation que se repose l’Etat pour justifier la non-prise en charge des vaccins, confirme le Vice-Président de la Chambre d’Agriculture de l’Aveyron :

“Les éleveurs ont alors remis les animaux à la pâture sans les avoir vaccinés. Cela est compréhensible, car pendant la saison de pâturage, les animaux doivent partir à la pâture, et il n'y a pas grand-chose à discuter. Les conséquences dramatiques se manifestent maintenant. L'État considère qu'à partir du moment où le vaccin était disponible, chacun devait prendre ses responsabilités.”

Pourtant, la réalité est quelque peu différente. Selon nos constatations sur le terrain, confirmées par Yoann Mathevon, directeur du GDS de l’Aude, il apparaît que le vaccin n’a pas été disponible pour tout le monde en même temps. La demande a effectivement explosé au rythme de l’évolution de la maladie, provoquant des indisponibilités temporaires des doses.

“On a eu des problèmes d'approvisionnement de vaccins, tout simplement. Il y a eu des commandes faites qui n'ont pas été livrées, ce qui a empêché les éleveurs de se préparer. Et quand on les a prévenus au début de l'été que la maladie circulait à nouveau dans les Pyrénées-Orientales et que ça risquait d'arriver dans l’Aude, et bien là, on était en rupture de vaccins”, raconte le directeur du GDS de l’Aude.

Dès lors, au vu de la tournure de la situation dans les élevages Pyrénéens depuis le mois de juin, pourquoi l’État n’a-t-il toujours pas repris à sa charge la vaccination contre la FCO 8 au vu de l’hécatombe en cours dans les Pyrénées ?

L’Etat campe sur ses positions

Crédits : Melvin Gardet / Pyrénées FM

D’abord, l’État disposerait d’un argument de taille face aux syndicats les plus importants du secteur agricole français : ce sont eux qui ont demandé à ce que la FCO 8 soit classée “maladie enzootique” plutôt que “maladie exotique”, nous indiquent plusieurs sources, sans que nous ne parvenions à vérifier l’information.

Ce charabia scientifique implique que la maladie soit traitée différemment par l’État : dans le premier cas, il est considéré que la maladie de la langue bleue sévit dans une zone donnée “sans tendance à l’extension”, et doit donc être gérée par les éleveurs sans implication du Ministère de l’Agriculture. Dans le second cas, il est considéré que la maladie doit faire l’objet de mesures étatiques pour en restreindre la circulation. En clair : l’État s’implique dans la lutte contre une maladie quand il y a un risque de contagion aux autres territoires qui ne pouvait pas être évité, sinon, il n’intervient pas.

Cette absence de prise en charge de la vaccination contre la FCO 8 est assumée par l’État, qui renvoie la faute aux éleveurs et aux organisations syndicales. Cette argumentation arrange probablement une administration publique qui a déjà bien assez à gérer (et à payer) avec la Maladie Hémorragique Épizootique (MHE) et le sérotype 3 de la Fièvre Catarrhale Ovine (FCO), des épizooties classées “maladies exotiques.”

Pour leur part, les organisations syndicales, les scientifiques et les éleveurs restent bouche-bée face à un État qui fait la sourde oreille. Et pour cause, ils pensaient détenir un argument qu’ils croyaient imparable.

Un nouveau variant non pris en compte

Les recherches scientifiques ont effectivement démontré que le sérotype 8 de la FCO a légèrement muté, donnant naissance à un nouveau variant de la maladie. On parle donc de BTV-8 France 2023 pour la souche découverte en Aveyron l’an dernier, et de BTV-8 France 2007 pour la souche “originelle” : celle à laquelle les agriculteurs s’étaient habitués, celle qu’ils avaient appris à repérer et à traiter, et surtout celle pour laquelle les animaux avaient développé des anticorps. Si aucune étude scientifique ne permet encore de l’affirmer, il se murmure pourtant que la mortalité exceptionnelle de cette pandémie 2024 aurait tout à voir avec ce nouveau variant. Mais cette spécificité n’a aucune valeur administrative.

“Le fait est que ce variant reste de la FCO 8. Même si c'est un variant, c'est en fait le sérotype 8. C'est simplement une méthode de classification du virus, c'est-à-dire qu'il y a 32 sérotypes pour la FCO et il s'avère que les scientifiques qui étudient la virologie et qui ont étudié la FCO ont classifié (cette maladie, ndlr.) en fonction des antigènes de surface qui provoquent la production d'anticorps et d'immunité. À cela, il faut rajouter les contraintes du commerce international, parce qu'on a une nomenclature de maladies : certains pays de l'Union Européenne refusent l'introduction de tel ou tel sérotype. C'est ça le fond du problème : la FCO 8 reste de la FCO 8, et ce n'est pas prévu de changer de classification ni de réglementation, parce que fondamentalement, au niveau du génome, ce nouveau variant reste très proche de la FCO 8”, explique Yoann Mathevon, directeur du GDS de l’Aude à Pyrénées FM.

Reste que cette classification scientifique ne tient pas compte des conséquences sanitaires et économiques apparemment provoquées par ce variant. Faudrait-il donc changer les critères de classification pour considérer ce nouveau variant du sérotype 8 comme maladie exotique en attendant de mieux le connaître ?

“Il faut des règles, ça c'est sûr, et le problème, c'est quand on est à la limite. Et là, typiquement, on est à la limite. Est-ce que c'est une nouvelle maladie qui devrait être requalifiée en ‘FCO 8 bis’ pour pouvoir être réglementée ? D’un point de vue sanitaire, oui, mais d’un point de vue économique, je ne suis pas sûr, parce que cela engendrerait d'autres contraintes au niveau des échanges commerciaux. Ce qui est sûr, c'est qu'il faut prendre en compte le fait que ce soit une maladie qui provoque plus d'impact. Nous sommes dans l'attente de la réponse politique pour savoir si l'État a bien pris en compte le fait qu'on a un impact sans précédent. Mais honnêtement, je ne pense pas que changer la réglementation soit la bonne solution”, nous rétorque Yoann Mathevon.

L’utilisation de cette classification comme unique gouvernail concernant les politiques de lutte à mener au cours d’une épizootie pose tout de même question.

Une situation qui pourrait être amenée à changer

D’autant que, comme le reconnaît le directeur du GDS de l’Aude, la violence de l’impact et la rapidité de la propagation du BTV-8 France 2023 ne pouvaient pas être prévues par les éleveurs des Pyrénées. Un cas particulier que Yoann Mathevon qualifie d’ailleurs de “force majeure.” Ce terme est notamment utilisé pour faire valoir aux agriculteurs le maintien de leurs aides de la Politique Agricole Commune (PAC) suite à une crise sanitaire ou environnementale. L’utilisation de cette expression serait-elle le signe que ce représentant du GDS considère la situation actuelle anormale ?

“Le GDS n’est pas là pour faire de la politique. Est-ce qu'il y a une bonne réponse de l'État ou non ? Je ne sais pas, on verra s'il y a une prise en charge financière par la suite. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a une vaccination qui est possible, les éleveurs ont été alertés à l'automne dernier qu'il y avait un variant de la FCO 8 qui circulait et qui faisait beaucoup de dégâts”, indique Yoann Mathevon, tout en gardant en tête les difficultés d’accès aux vaccins au début de la crise.

Laurent Saint-Affre, qui est aussi membre du bureau (en charge du dossier sanitaire animal) de la FNSEA, premier syndicat agricole en France, confirme qu’à la mi-septembre, l’État ne souhaite faire aucun pas en avant sur ce sujet :

“Il semblerait que les discussions pour la prise en charge des vaccins contre la FCO 8 soient non négociables avec l’État, du moment qu’ils sont en accès libre sur le marché.”

Pas étonnant quand on sait que l’ancien Ministre Marc Fesneau indiquait le 30 août que l’Etat n’allait pas « se substituer à une commande privée défaillante. » Bref, il y a encore deux semaines, la ligne n’avait pas bougée d’un iota.

En revanche, cette position pourrait être amenée à changer avec la nomination d’Annie Genevard à la tête du Ministère de l’Agriculture, en lieu et place de Marc Fesneau. C’est en tout cas ce qu’elle a laissé penser mercredi 2 octobre à l’Assemblée Nationale, quelques jours après avoir échangé avec les syndicats, y compris la Confédération Paysanne, et le réseau des Chambres d’Agriculture.

Quand Annie Genevard confond le sérotype 8 et le 3

Comme l’a constaté Pyrénées FM, Annie Genevard a effectivement été interrogée par la députée ariégeoise Martine Froger. Cette dernière lui a fait état de la situation en cours dans le département de l’Ariège. Le 09 est effectivement le département des Pyrénées qui compte le plus de foyers du sérotype 8 de la fièvre catarrhale ovine.

Oui mais voilà, la députée s’est emmêlée les pinceaux, indiquant que le département dans lequel elle a été élue est touché par le sérotype 3. Probablement une simple erreur de langage, puisqu’aucun foyer du sérotype 3 n’a été identifié en Ariège à cette date.

En revanche, cette erreur a un impact sur ce que nous devons déduire de la réponse que lui a formulée la Ministre de l’Agriculture. Car cette dernière lui a répondu en lui parlant du même sérotype : « Vous avez évoqué votre département, l’Ariège, riche en élevages ovins, qui est très touché par la fièvre catarrhale ovine de sérotype 3. […] Nous nous rendrons auprès des éleveurs afin de faire des annonces qui concerneront à la fois la stratégie vaccinale, mais aussi la réponse indemnitaire car la situation des trésoreries est effectivement très dégradée. »

À l’heure où sont écrites ces lignes, nous ne sommes pas parvenus à joindre Martine Froger. Les éleveurs et les syndicats, qui placent de grands espoirs dans l’arrivée d’Annie Genevard à la tête du Ministère de l’Agriculture, seront sans doute perplexes face à cette confusion de la part de leur nouvelle Ministre… D’autant que la menace de l’arrivée de la FCO 3 dans les Pyrénées court, cette fois, réellement…